William Morris Le "Beau", envers et contre tout

Ayant participé à un concours proposé par la région Hauts-de-France, j'avais gagné des entrées pour le musée d'art et d'industrie André Diligent, à Roubaix, la fameuse "piscine".

 

Ce musée présentant diverses collections d'arts appliqués du XIXème siècle, est installé dans une ancienne piscine de l'époque Art Nouveau.

 

Pour la première fois en France, un musée proposait une exposition sensibilisant au travail de l'anglais polyvalent William Morris, si cher au coeur des décorateurs et des artisans comme moi. Il a oeuvré pour que soient reconsidérés l'art, l'artisanat, les artistes et artisans anglais de l'époque victorienne fin XIXème siècle.

 

Ni une ni deux, nous profitions d'un week-end en famille, pour "aller voir Morris à Roubaix", parmi les autres 100 000 visiteurs que l'exposition a comptés !!  

 

 

La Piscine, c'est tout un programme. C'est comme visiter un musée dans un musée dans un musée. Plusieurs expositions sont proposées et il faut vraiment plusieurs heures  (jours?) pour tout voir et tout remettre en contexte.

 

Déjà, la piscine: autour d'une roseraie, s'articulaient les festivités aquatiques  et nous nous attendions presque à voir surgir en sautillant, des petites nageuses  en peignoir-bonnet des années trente traversant  le "réfectoire des nageurs" pour rejoindre les bains-douches et les "baignoires dames" . 

Je me demandais comment le bassin olympique aux mosaïques bleues, et éclairé de vitraux solaires, avec ses baignoires sur deux étages aurait été détourné de sa fonction pour être transformé en musée. Je n'ai pas été déçue, le lieu est superbe et la luminosité doit être chaleureuse quand il fait beau. J'aime que la notion aquatique ait été conservée, avec des fontaines et un bassin en longueur autour duquel on peut circuler. Une bande son laisse de temps en temps suggérer des bruitages de piscine bondée, allusion au passé du lieu. Plouf.

 

L'exposition temporaire sur William Morris, intitulée L'Art dans Tout, avait lieu dans 5 salles immersives, décorées des motifs phares de l'artiste.

Y étaient mises à l'honneur une centaine d'oeuvres parmi lesquelles peintures, dessins, tapisseries, papiers peints, mobiliers, textiles, prêtées par les musées anglais Tate Britain, Victoria and Albert Museum et complétée par des collections françaises du musée d'Orsay. Une ambiance murale de couleur vive et unie mettait en valeur de façon très contemporaine chaque papier peint, sujet exposé et chaque thème.

 

Alors, ce William Morris, c'est qui?

On ne peut classer pas ce personnage anglais de la seconde moitié du XIXème siècle dans une seule catégorie, tellement son travail a été prolifique et tranversal.

Pour résumer, on aurait pu lire sur sa carte de visite: écrivain, poète, designer textile, peintre dessinateur, architecte, décorateur-ensemblier, militant socialiste, écologiste, théoricien, philosophe, utopiste, féministe, défenseur des arts et du patrimoine, créateur de caractères typographiques. On retient surtout en lui que ce fut un acharné du travail, tellement passionné par le Beau qu'il voulait en faire une révolution sociale et transformer la société corrompue par l'industrie.

En 1861, il crée son entreprise d'arts décoratifs, dans laquelle on pouvait commander du mobilier, du papier peint, des objets usuels en céramique ou en métal, des vitraux, des impressions à la planche, des textiles Jacquard en teintures végétales.

 

Initiateur du mouvement Art & Kraft.

En 1850, la Grande Bretagne domine le monde: colonies, marine, avancées industrielles et commerciales...Cependant, cette expansion rapide et angoissante n'a pas tellement amélioré la vie de la majorité des travailleurs anglais: le rythme du travail industriel est harassant, le niveau de vie stagne, les produits ne sont pas de bonne qualité, les attentes sociales espérées sont médiocres. 

 

En 1860, l'artisanat et l'art ont quasiment disparu du paysage économique anglais.

 

William Morris pense que l'industrialisation déshumanise le travailleur, qui fabrique sans créer, en série, perdant ce soin porté au détail et cette attention aux matériaux. Les produits ne sont que marchandises, profits. L'industrialisation est un esclavagisme, empêchant l'expression créatrice porteuse de sens. 

Lors d'une conférence en 1884, plus tard, il dira: "c'est perdre son temps que d'essayer d'exprimer en mots le mépris légitime qu'inspire la production de ces pacotilles tant vantées par notre époque. Qu'il suffise de dire que ces pacotilles sont nécessaires au système d'exploitation sur lequel repose l'industrie moderne (...) Notre société comprend une grande masse d'esclaves qu'il s'agit de nourrir en esclaves, de vêtir en esclaves, de loger et de divertir en esclaves: leurs besoins quotidiens les contraignent à fabriquer les marchandises d'esclaves dont l'utilisation même perpétue leur esclavage".

Pour William Morris, ces produits sont qualifiés d'ersatz: "la société de l'ersatz continuera à vous utiliser comme des machines, à vous alimenter comme des machines, à vous faire trimer comme des machines". Un artisan doit être maître d'un produit dans sa globalité, du dessin aux finitions.

 

Pour lui, la recherche des matériaux de qualité et l'artisanat en général est un mode de vie et de travail visant à s'épanouir dans le respect de soi-même.

 

"Le plaisir qui devrait aller de pair avec la fabrication de chaque objet artisanal s'enracine dans l'intérêt que chaque homme sain montre pour une vie saine et il se compose principalement, me semble - t-il, de trois éléments: la diversité, l'espoir qui accompagne la création et l'amour-propre qui provient d'un  sentiment d'utilité, auxquels il convient d'ajouter ce mystérieux plaisir corporel qui va de paie avec l'exercice habile des facultés physiques."

 

Il prône une vie sobre et modérée entourée d'objets beaux, qui ont du sens, et dans lesquels il faut rechercher la qualité et non la quantité.

L'ornement n'est pas un gaspillage; il est nécessaire aux objets du quotidien, dans un cadre agréable et recherché.

Sans compromis, il déclare: "Je demande que soit plaisant, beau et généreux, le cadre matériel de ma vie. C'est une exigence de taille, je m'en rends compte. Je n'en dirai qu'une chose, si l'on ne peut y répondre, si les sociétés civilisées ne sont pas toutes en mesure de garantir à l'ensemble de leurs membres un environnement de cette qualité, je souhaite que le monde s'arrête!". Il renoue avec l'art populaire et désire mettre de la beauté dans les objets du quotidien.

C'est dans cette recherche d'une société utopique décroissante contre la standardisation et l'uniformisation du monde que William Morris dit: 

"Dans tous les travaux où la production de beauté est requise, la communication la plus directe entre la main d'un homme et son cerveau doit être recherchée".

 

"Il est juste et raisonnable que les hommes aient à lutter pour faire en sorte que les marchandises utiles qu'ils produisent soient aussi belles que les oeuvres de la nature, et qu'ils doivent lutter pour que leur fabrication même soit agréable, tout comme la nature rend agréable l'exercice des fonctions nécessaires aux êtres sensibles. En résumé, appliquer l'art aux marchandises utiles n'est pas une frivolité mais quelque chose de sérieux qui fait partie intégrante de la vie".

 

C'est là l'origine du mouvement Art and Kraft, dont William Morris et l'écrivain John Ruskin en définissent les termes.

On a tendance à le décrire comme le pendant de notre style Art Nouveau belge et français, car il se situe entre 1860 et 1910, mais je trouve les attentes différentes.

Il prend sa source dans le mouvement de peinture préraphaélite qui reprend les codes du Moyen-Age, dix ans avant. Citons dans ce cercle, les peintres Dante Gabriel Rossetti, Robert Browning, Arthur Hugues, Thomas Woolner, Ford Madox Brown.

Les matériaux nobles (acier bois, tissu, émail, fer forgé), les motifs floraux, le thème de la jeune fille, le Moyen-Age nostalgique et idéalisé, la vanité sont mis en avant.

 

Le mouvement art and kraft est à contre-courant de l'Empire britannique, du capitalisme et des effets de l'industrialisation sur la nature. 

C'est un engagement politique et environnemental fort, qui continue de résonner (raisonner?) plus d'un siècle après...

Les papiers peints,  tissus, tapis de William Morris continuent d'être distribués (chez votre tapissier notamment), mais vous l'aurez compris: si vous souhaitez lui rendre hommage: entourez vous, avec parcimonie, d'objets véritablement beaux, et non de "colifichets".

 

Piste à suivre: 

The Red House, la Maison Rouge de William Morris

que l'on peut visiter - réouverture en mars 2023

adresse :

Bexleyheath

DA6 8JF LONDON

Royaume Uni

accessible en train depuis Londres